Keryado

Anecdote locale
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 Keryado: Soir sur le Scorff et le château de Tréfaven

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■ Une frousse bleue

Claudio, le père de mon oncle, était immigré piémontais.

Arrivé dans les années 20, acceptant tous types de boulots, il aidait régulièrement le croque-mort du cimetière de Keryado. Claudio était né dans une de ces vallées des Alpes italiennes où la pauvreté des montagnes pousse l'homme à naviguer vers d'autres rives.

Il était arrivé en Bretagne !



Keryado

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  • FrançaisKeryado
  • BrezhonegKeriadoù
    ( Breton )
  • Population58 100 hab.
    GentiléKeryadins
  • Superficie17,48 km²
  • Densité3323.8 hab./km²
  • Latitude47° 46 '43" N°
    Longitude3° 23 '20" W°
  • Latitude47.761931°
    Longitude-3.388799°


⌘ Une jaunisse pour une frousse bleue !

Autrefois, certes parfois douloureusement mais pas toujours, on quittait ce Monde pour le Bro ar Re yaouank - Le pays des Jeunes au pas lent du corbillard et rythme régulier des chevaux le traînant. Derrière, la procession funèbre suivait.

Certains pleuraient ou se lamentaient de cette séparation ; certains peut-être se réjouissaient en ce disant que le vieux corbeau ou la vieille chouette...

Qu'importe ! Tout ce petit monde se retrouvait pour accompagner le Mort lors de son dernier voyage au rythme du corbillard et douloureux son du glas. On garderait mémoire de celui-là, ou de celle-là, en bien ou mal, mais il ne serait pas oublié et resterait force des vivants.

cimetière
Le cimetière

Notre trompeuse modernité, explosant familles et groupes humains obligés de chercher pitance en terres lointaines, a aussi modernisé la Mort. L'Ankou s'est lancé dans le libéralisme: il parle rentabilité et carnet de commandes en priorité ; quant aux familles, proches et autres, ils viennent en voiture entre deux activités, accompagnent le Mort dans son rapide corbillard motorisé, parlent un peu du Défunt en réunion puis repartent en voiture vers leurs maquillées solitudes sociales qui font se sentir de partout en étant de nulle part...

⤇ Claudio, immigré piémontais

Le père de mon oncle Claude était immigré piémontais. Il avait quitté sa vallée arpitane natale du Piémont pour, suivant quelques sinueuses routes ou chemins qui passèrent par Saint-Nicolas-du-Pelem, arriver finalement à Keryado.

Comme tout tâcheron, il acceptait tous les boulots et régulièrement, aidait le fossoyeur keryadin, Jakez Troad er Bez, à creuser le dernier domicile de quelque habitant local. Avec les ans, les suées et les bons mots aidant à relativiser le lugubre labeur, confiance réciproque s'était établie entre le fossoyeur-chef et son aide attitré.

Un jour, Jakez Troad er Bez - Jacques au- pied-dans-la-tombe demanda au Claudio de creuser la tombe de Pogam Bras - le grand Pogam qui, tirant ticket gagnant à la loterie de l'Ankou, avait reçu billet simple pour l'Anaon.

Pogam Bras était un grand bonhomme, un costaud bien solide et bien grand. Il tenait ferme à Kerlouano, hameau maintenant disparu qui voit maintenant une toponymie surprenante comme ce Quatre-Jeudis du Bourgneuf, cette Rue des micocouliers ou Rue de la Salsepareille attendant invasion de schtroumpfs.

En ces temps pas si lointains, le menuisier réalisait les cercueils sur mesure. Il venait au domicile, mesurait le mort et rabotait les planches en conséquence ; bien sûr, pour le confort, il ne s'occupait pas des capitonnages ! Pour Pogam Bras, il avait pris ses planches les plus longues et les plus larges ; sans oublier les morceaux rajoutés pour arriver à bonne longueur et largeur...

Jakez Troad er Bez demanda donc au Claudio de creuser la tombe de Pogam Bras mais, ayant quelques impératives obligations administratives - sans doute le Courrier Fidèle, bar local maintenant disparu - demanda à son compère de commencer sans lui. Il lui donna les cotes: largeur, longueur et profondeur ; vous noterez la modernité des fossoyeurs déjà adeptes du 3D !

⤇ Cimetières et revenants

Les voies su cimetière étant pénétrables, donnons la parole à nos deux fossoyeurs:

- Ho, Claudio, Pogam Bras a zo aet da anaon. Dav eo din da foziañ an hini bras-se ! Posubl eo deoc'h da sikour din ?
- Ho, Claude, le grand Pogam est mort. Il me faut creuser sa tombe. Peux-tu m'aider ?

Claudio étant libre ne refusa pas l'offre de travail ; le marché fut topé immédiatement. Pogam Bras, impatient de retrouver les siens dans l'Anaon et ne voulant pas attendre à Kerlouano au milieu des pleurs, il fut décidé de creuser la fosse le soir même malgré l'hiver et le temps bien pluvieux.

Claudio, le grand oncle, s'équipa donc, et vers les huit heures, au soir, se rendit au cimetière de Keryado avec sa pelle, sa pioche et cette vieille lampe à pétrole dont on se demandait pourquoi elle n'avait pas encore explosé tant elle était cabossée...

Le cimetière de Keryado n'a pas changé, sauf avec l'apport de nouvelles parcelles. Il voit toujours sa grande porte à double battant proche de la maison du gardien - si le cimetière est encore gardé. Une longue et large allée empierrée de graviers le traverse toujours sur toute sa largeur ; une autre, identique, le traversant sur sa longueur ; le monument aux morts fut érigé au croisement de ces allées. Face à l'entrée principale, de l'autre côté du cimetière, une petite porte ouvre le mur et permet de traverser le cimetière en évitant un long détour pour le contourner.

Claudio, arrivé sur les lieux, se mit en branle. Activant pioche et pelle, il commença à creuser alors que Jakez Troad er Bez - Jacques au- pied-dans-la-tombe n'était pas encore arrivé ; cela était convenu. Le travail avançait bien. Le sol était meuble ; sans doute les innombrables morts qui s'accumulaient en cette terre bénie et devaient sûrement bien l'assouplir. Le niveau baissant, Claudio s'enfonçait en terre au rythme de ses travaux. Plié sous l'effort, sa lampe au fond du trou, personne ne pouvait plus le voir, sauf à entendre les coups de pioche et raclements de pelle.

Au cœur de la nuit, il entendit soudain la petite porte s'ouvrir en grinçant ; les portes de cimetières grincent toujours et il est dit que c'est l'âme d'un mort en peine qui gémit sous les douleurs.

Claudio arrêta alors sa besogne pour une petite pause bien méritée et écoutait le gravier crisser ; certainement Jakez qui arrivait pour l'aider. Son coup de main ne serait pas de refus ; sans parler du petit coup à boire que le Jakez avait sûrement préparé !

Comme il ne peut arriver qu'en Bretagne pour ce genre d'histoire, la nuit était d'hiver et bien froide. Le crachin tombait sans discontinuer et transperçait jusqu'aux os. Dur pour les morts ce temps humide ! Le ciel, couvert, transformait la nuit en une encre si noire que la nuit la plus profonde en serait encore bien claire.

Le crissement du gravier se faisait plus fort, Jakez approchait de son pas régulier.

Pensant que son compère arrivait, Claudio prit alors sa lampe cabossée puis, la levant bien haute, se dressa de toute sa longueur en appelant son compère.

- Ho Jakez... C'hwi eo ?
- Hé, Jakez, c'est toi ?

Claudio entendit alors un hurlement à dresser les cheveux sur la tête d'un mort, à effrayer tous les diables de l'Enfer - Lucifer lui-même, à faire fuir une armée de dragons et zombis sous l'épouvante. Il vit aussi une ombre, hurlante, courir dans l'allée centrale, se précipiter vers la grande et lourde porte du cimetière, l'ouvrir comme jamais elle n'a été ouverte et fuir à travers champs en hurlant d'épouvante...

⤇ Qui était-ce ?

Jamais le concerné ne vint de vanter de son aventure mais, un des habitants de Kerlouano, un certain Coéffic - Roger, je crois - ancien de la Grande Guerre qui avait connu l'enfer des tranchées, les combats à la baïonnette et de terribles horreurs, tout sauf un couard, devint livide, jaunard, taiseux, tremblant et le resta plusieurs jours, mois et semaines...

Certains spécifiaient qu'il avait fait une jaunisse à cause de sa peur bleue...

Les gens sont réellement méchantes langues !

⤇ Kerlouano

Kerlouano était un charmant écart formé de longères splendides, aux portes à arcs brisés surmontés de fleurons de style gothique d'une grande richesse et belle facture ; quelques portes étaient à anse de panier et de grande finesse artistique elles aussi. Plusieurs familles habitaient en ces lieux, il y avait les Pogam, les Trécasser, les Coéffic et deux autres familles dont le nom m'est oublié. Les bulldozers municipaux sont passés en ces lieux. L'Histoire des Hommes a été effacée et il ne reste des splendeurs de Kerlouano qu'une zone commerciale plutôt triste, déprimante, lugubre et un impasse minuscule.

Le modernisme est passé là et le chant des oiseaux a laissé place au puant vacarme des moteurs...