Monétier-Allemont

Légende locale
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■   Légende locale

À Monétier-Allemont et ses environs, elle connut son heure de gloire et, lors des veillées locales, elle anima certainement les soirées.

Le conteur, préparant sa prestation, n'hésitait pas à se lancer dans des improvisations, il brodait, déformait, virevoletait au gré de son imagination pour créer un spectacle unique.

Assis près de la cheminée, jetant des herbes au feu, il faisait naître des flammes colorées et parfumées ; créant le son et lumières d'antan, il y rajoutait les parfums.

Passant à Monétier-Allemont, vous vous souviendrez peut-être de cette légende locale.

Monétier-Allemont

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  • FrançaisMonétier-Allemont
  • OccitanMonestier-Allamont
    ( Occitan )
  • Population300 hab.
    Gentilémonêtiards
  • Superficie7,15 km²
  • Densité41.96 hab./km²
  • Latitude44° 23 '60" N°
    Longitude5° 56 '60" E°
  • Latitude44.383301°
    Longitude5.933330°


 ⌘ L'homme au doigt coupé

Il y a bien longtemps,
C'était vers 1880 ou 1885,
Peut-être avant, mais peut-être après...

Agricol était berger, comme bien des habitants de nos montagnes.

Tous les ans, quand arrivait la saison, Agricol transhumait vers l'alp du Pic de Crigne. Au petit matin, bien avant l'aurore, comme tous bergers en ces moments, il quittait le village de Monétier-Allemont avec son troupeau: chèvres et moutons.

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Comme tous, il était toujours accompagné de quelques mulets pour porter les charges, entre autre les bagages, car monter en alpage demande préparation et matériel ; courir la montagne n'est pas, comme le touriste, flâner sur le boulevard de la plage de quelque station à la mode avec cet air désabusé de celui qui a tout vu.

En montagne, autrefois, les habitants utilisaient le mulet comme animal de charge. Le mulet a le sabot fiable en montagne et est capable de suivre les passages les plus délicats sans chuter au ravin. Pour cela les mulets étaient particulièrement appréciés des bergers ; Agricol appréciait ses mulets.

Le village de Monétier-Allemont est un village niché au cœur de ses reliefs, desséchés en été et enneigés en hiver, au nord de cette Durance que les anciens décrivaient comme un des fléaux de la Provence. Pour rejoindre les alpages de Crigne, il faut faire une longue route, puis se terminer par un pente bien rude.

Comme tous les bergers de Monétier, partis avant l'aurore, ayant marché toute la journée, hommes et troupeaux, après une pause obligatoire au pied du massif, se lançaient alors à son assaut ; un rude et long cheminement sous les brûlures du soleil. Pour avoir grimpé Crigne plusieurs fois, je peux témoigner que la piste est étroite, bien longue et bien raide. Pour l'avoir grimpé sous un soleil torride, j'affirme aussi que la suée est terriblement abondante. Grimper Crigne sous le soleil, c'est suivre un chemin de croix, aller au devant de son calvaire ; un Golgotha alpin.

Autrefois, le pic de Crigne avait bel alp et nombreux étaient les troupeaux à venir en estive. Agricol avait des pâtures qui lui étaient allouées ; il n'en débordait pas. Agricol avait beau troupeau qui ne peut faire honte à ses descendants. Il prenait un soin passionné de ses bêtes.

La vie du berger ne connait ni dimanches ni vacances. Levé aux aurores, le berger se couche tardivement et, la nuit, il lui faut veiller aux loups encore nombreux actuellement, surtout dans le Dévoluy. La vie d'Agricol était régulée par la vie des animaux et voyait ses journées passées à surveiller ses moutons qui font toujours des bêtises et toujours en équipe bien sûr !

Comme tous les bergers en ces temps éloignés, Agricol avait houppelande le protégeant du froid de la nuit, chapeau vissé sur le crâne, grosses et solides chaussures, rude pantalon de toile à toute épreuve, chemise de lin et gilet bien souvent noir ; en somme, la tenue typique du berger dapuhinois au XIX° siècle. Bien sûr, le principal était son chapeau: un bon feutre qui, s'il protège de la pluie et du soleil, garde surtout la cervelle bien au frais.

L'accident à ces altitudes peut avoir de funestes et terribles conséquences. À notre époque, on peut appeler les secours si le signal passe. Un hélicoptère vient alors chercher le blessé qui est immédiatement transporté à l'hôpital de Gap. À l'époque d'Agricol, le téléphone et l'hélicoptère n'existaient pas; même pas en rêve.

Souvent, Agricol s'asseyait sur quelques grosses pierres et rêvassait ou jouait seul aux cartes ; bien sûr sans perdre cet œil vif qui surveille le troupeau. La fin de journée approchant, il s'occupait de traire les brebis et les chèvres après les avoir enfermées dans un enclos ceinturé de pierres et de ronces bien acérées ; avec les chiens, c'est la meilleure défense contre les loups.

Un bel après-midi d'estive, assis sur sa pierre, Agricol ressenti soudain une morsure violente au pouce de cette grosse main calleuse qui était sienne. La retirant prestement, il y vit une grosse vipère le mordant et lui injectant mortel venin.

La douleur fut fulgurante comme toujours pour les morsures de vipères. Son sang ne fit qu'un tour. Agricol comprit immédiatement que sa fin était proche s'il n'adoptait de ces mesures d'urgence qui sauvent en montagne et tuent si on les oublie. Il sortit alors son couteau.

Le couteau d'Agricol n'était pas un chastre-jau – un petit couteau en ce gavot qui est dialecte vivaro-alpin de la région de Gap. Le couteau d'Agricol était un grand couteau à large et solide lame pour, comme le disait si bien Agricol, escotelar los lops, tuer les loups - dans cette même langue occitane.

Agricol sortit donc son couteau et, posant son pouce sur la roche, le trancha net au niveau de la première articulation du métacarpe, au ras de la paume de la main.

Une immense douleur le submergea.

Certainement Agricol cria ou hurla sous la douleur mais peut-être pas ; les bergers de ces époques étaient durs à la douleur. Ne défaillant pas, Agricol jeta son gilet et retira sa chemise. Il la découpa alors en bandes et enroula fermement sa main sanglante dans ces linges avant de prendre le chemin de Monétier-Allemont.

Si monter le pic de Crigne en bonne santé est bien long, le descendre dans l'état où était Agricol dû être terrible et très long chemin. Il le fit avec une main pansée de sa chemise rougissant sous l'hémorragie et, très affaiblit après plusieurs heures de marche dans cet état, arriva enfin au village.

Le plus proche docteur en médecine, le docteur Andréoletti nous raconte l'histoire, exerçait à Tallard ; cela prendrait encore deux bonnes heures minimum pour aller le prévenir et le voir arriver au triple galop en sa calèche.

Ce fut donc le forgeron qui soigna Agricol. Il cautérisa la plaie au fer rouge et un nuage sentant les chairs brûlées vit Agricol s'effondrer en pamoison. Il resta plusieurs jours sans reprendre connaissance puis, petit à petit, remontant la pente, il put rejoindre son troupeau avant la fin de l'estive. D'autres bergers de Crigne s'étaient occupés de ses bêtes, dont, entre autre un de ses amis, le brave Anatole.

Agricol devint rapidement célèbre dans cette vallée de la Durance et se retrouva affublé du surnom d'Agricol Chaplaire que l'on pourrait traduire par Agricol qui coupe...

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